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Construire une histoire
Construire unehistoiretheatrons.comCommenterCe texte est extrait du site www.theatrons.com
Quels que soient leurs élèves, leurs durées et leurs objectifs, mes stages comportent toujours une partie "impro" qui permet aux participants de se retrouver en situation d'acteur sans trop de formalités.
Pour ce que j'ai pu constater, la difficulté principale n'est pas de se retrouver sur une "scène" sous le regard des autres, mais plutôt de répondre à la question "qu'est-ce que je vais bien pouvoir inventer ?"
C'est pourquoi je commence d'abord par proposer une petite méthode permettant de faciliter la construction d'un récit. Voici en quoi elle consiste :
Qui, Où, Quand et Quoi ?
- donnez-moi deux, trois ou quatre personnages (on a souvent : un pompier, un footballeur, un prof, un policier, par exemple)- donnez-moi un endroit (la cour, la classe, la mer, la montagne, la voiture...)- donnez-moi un moment (le matin, le soir, l'hiver, l'été, ...)
et ensuite, par exemple : que peuvent faire un pompier et un footballeur sur une plage, un matin, en été ? J'obtiens une action comme par exemple, jouer au ballon avec une noix de coco.
J'explique alors aux participants qu'il va falloir poser une question ou créer une attente, en bref, créer un "suspens", au début de l'histoire et que la réponse (qu'on appelle aussi la "chute" ou le "dénouement") à cette question, devra être surprenante et si possible amusante.
C'est la partie délicate de l'exercice. Les premières fois, les élèves (même adultes) ne maîtrisent pas la notion de "suspens" et proposent des "questions/problèmes" qui ne sont pas de nature à intéresser un public ou qui ne permettent pas un développement lent. Je les aide alors en faisant quelques propositions.
Une fois la question posée, le plus difficile est de trouver un dénouement capable de surprendre et/ou d'amuser. C'est souvent plus facile avec des enfants dont l'imagination est encore très active. Je les incite à faire des propositions délirantes (en proposant moi-même des "solutions" à base de magie ou d'extra-terrestres) et cela débloque leurs idées.
Dans l'exemple ci-dessus, le pompier demande au footballeur de jouer avec lui, mais celui-ci refuse en inventant des prétextes plus farfelus les uns que les autres. Le pompier insiste et essaye de découvrir la vraie raison de ce refus. La question du pompier devient donc peu à peu celle du public qui se demande pourquoi le footballeur refuse de s'expliquer. A la fin, le footballeur déclare, par exemple, qu'il sera d'accord pour jouer, une fois que le pompier aura éteint le soleil qui brûle dans le ciel et qui lui donne chaud.
Les "diversions" (histoires parallèles)
Quand deux ou trois histoires ont été construites de cette façon, les élèves ont compris la mécanique et deviennent très productifs. On aborde alors les "diversions", c'est-à-dire les histoires dans l'histoire.
Pour faire durer le suspens, on peut apporter dans l'histoire principale quelques petites histoires parallèles qui sont construites exactement comme l'histoire principale, mais qui sont simplement plus courtes. Pour "faire diversion" (aux deux sens du terme), le footballeur va par exemple se mettre à raconter un de ses souvenirs. Ce souvenir comportera lui aussi des personnages, un endroit et un moment. Il devra également poser un petit problème qui sera résolu au fil du récit.
Les diversions sont intéressantes parce qu'elles permettent de faire durer l'histoire principale et évite au scénario de tourner en rond en attendant sa conclusion. Mais elles présentent le danger de "perdre" le spectateur et de rendre le récit incohérent. J'explique donc à mes élèves qu'ils ne peuvent ajouter une diversion qu'à la condition expresse qu'elle présente un lien, même ténu, avec l'histoire principale. Pour reprendre encore une fois l'exemple ci-dessus, le souvenir raconté par le footballeur devra démontrer que celui-ci est incapable de faire la différence entre ce qui est près et ce qui est loin, ou ce qui est gros et ce qui est petit, cela expliquera ensuite pourquoi il pense que le pompier pourrait éteindre le soleil.
Dans l'idéal, la diversion est un moyen de faire avancer l'histoire principale sans que le public ne s'en aperçoive forcément.
Pour faire simple et éviter que le récit ne devienne incompréhensible, il est interdit de se lancer dans une nouvelle diversion tant que la précédente n'a pas été conclue.
Au bout d'une dizaine d'histoires travaillées de cette façon, mes élèves deviennent de véritables "pro" et construisent des scénarios vraiment intéressants. Il y en a bien sûr toujours certains qui se détachent du lot, mais tous deviennent plus ou moins capables de fabriquer une petite histoire en très peu de temps. C'est seulement à ce moment-là que je les lance dans l'impro car je tiens à ce qu'ils jouent des histoires qu'ils ont construites eux-mêmes.
Analysez des histoires existantes
La difficulté avec les petits, c'est qu'ils raffolent des "ambiances" et qu'ils s'intéressent moins au fil du récit.
Pour les convaincre de l'intérêt du "suspens", je prends souvent pour exemple des histoires archi-connues (Peau d'âne, La belle au bois dormant, Cendrillon,...) et je leur décortique ces histoires en expliquant quelle est la question posée au début et quelle est la réponse apportée à la fin. Ils se rappellent alors tout l'intérêt que ce suspens leur a apporté et ils comprennent la nécessité de cette construction.
Comme j'aime moi-même raconter des histoires, je n'hésite pas à commencer le cours par une petite histoire rigolote dont je leur explique ensuite la structure ou que j'analyse avec eux : qui étaient les personnages, quel était l'endroit, quel était le moment, quelle était la question, quelle était la réponse "attendue" (c'est-à-dire sans intérêt) et quelle est finalement la réponse que le récit a apporté. En quoi cette réponse est-elle surprenante et/ou amusante.
Pensez aux surdoués
Un dramaturge de génie se cache peut-être parmi vos élèves. Vous pourrez alors vous féliciter plus tard d'avoir éveillé son intérêt pour l'art de l'écriture; En attendant, n'allez pas bloquer son talent ! Expliquez clairement que les règles proposées ci-dessus ne sont qu'une méthode utile dans le cadre de votre stage et qu'elles ne représentent pas les "lois" universelles de l'écriture.
Pour ma part, j'explique toujours qu'un véritable artiste est quelqu'un qui maîtrise suffisamment les règles pour pouvoir s'en passer !
L'aspect ludique est essentiel
L'essentiel pour que cela fonctionne est d'organiser ces exercices comme autant d'occasions de s'amuser et de se faire rêver les uns, les autres. Même si la structure d'histoire proposée ici est relativement rigide, les exercices de création en eux-mêmes doivent être faits dans le jeu et la bonne humeur. C'est la condition sine qua none pour que la créativité de chacun puisse s'exprimer.
J'arrive à guider mes élèves vers la création en 5 à 10 heures de cours, environ. Pour tenir ce délai, je gère les constructions d'histoires à tambour battant : il faut que ça fuse de tous les côtés. C'est aussi une condition pour que la créativité s'exprime car la vitesse empêche le jugement et l'auto-censure.
Encouragez les élèves qui proposent les idées les plus folles et amusez-vous !
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