• A l'aube du cinéma algérien : La nuit a peur du soleil de Mustapha Badie

    A l'aube du cinéma algérien : La nuit a peur du soleil de Mustapha Badie

    A l’aube du cinéma algérien « La nuit a peur du soleil » de Mustapha Badie Par Ahmed Bedjaoui

    Au lendemain de l’indépendance en Algérie, deux forces principales se faisaient face pour la primauté de la production d’images : la station régionale de l’ORTF, abandonnée par la majorité de ses cadres techniques et devenue en octobre 1962 la RTA, Radio télévision algérienne, d’une part et le centre audiovisuel de Ben Aknoun où se sont regroupés ceux qu’on appelait les cinéastes des frontières ou de la liberté. Parmi eux, Ahmed Rachedi et René Vautier,. Tandis que Mohamed Rezzoug s’installait au Centre itinérant (devenu populaire) du cinéma (CPI) avec les quelques ciné-bus disponibles et un fonds filmique intéressant, Mohamed Lakhdar Hamina n’allait pas tardera pas à se créer une citadelle avec l’Office des Actualités algériennes (OAA). Il convient de noter ici que l’un des cinéastes majeurs des maquis, Djamel Chanderli, s’effaçait très tôt de la course et quittait prématurément la scène cinématographique nationale, malgré les grandes qualités montrées lors du tournage notamment de « Yasmina » et « Les fusils de la liberté ».

    Chanderli laissait ainsi la place libre à la course au pouvoir dans le domaine du cinéma.

    Profitant de la ferveur socialiste prônée par Ahmed Ben Bella, René Vautier lançait le mouvement des ciné-pops dont l’influence allait s’arrêter avec le coup d’état de 1965. La même année Mahieddine Moussaoui, le principal animateur de la cellule cinéma du Ministère de l’information du GPRA était désigné directeur général du nouveau Centre national du cinéma qui regroupait l’ensemble des activités cinématographiques. A ce propos, la création en 1965 de la cinémathèque algérienne est à mettre à l’actif de Mahieddine Moussaoui.

    Dans ce climat de lutte pour le pouvoir des images, les enjeux ne résidaient pas que dans les conquêtes de position dominantes. Les trois premières années de l’indépendance ont été également marquées par la course à « qui allait réaliser le premier film de long-métrage de l’Algérie indépendante.

    Tout en dirigeant les Ciné-pos, René Vautier s’efforçait de réaliser son grand projet « Peuple en marche » avec les images qu’il avait tournées au maquis ou aux frontières et d’autres qu’il voulait consacrer aux premières années de l’indépendance . Ses « amis » du centre audiovisuel de Ben Aknoun arguaient du fait que Vautier avait, à l’instar du français Pierre Clément ou du Yougoslave Labudovic, filmé des scènes collectives appartenant au Ministère de l’information du GPRA. René Vautier n’a jamais mené à terme son projet et devra attendre le début des années 70 pour signer son premier long métrage avec le magnifique « Avoir vingt ans dans les Aurès », mais sous bannière française.

    Dès 1963, Lakhdar Hamina préparait « Le Vent des Aurès » qui ne sera prêt qu’en 1967 et avec lequel il se verra décerner entre autres, le prix de la première œuvre au festival de Cannes.

    Avant lui, Claude Charby signait « Une si jeune Paix » dédié à la jeune génération de l’indépendance, dont les enfants de martyrs de la Révolution. De son côté, Ahmed Rachedi préparait « l’Aube des damnés », inspiré des « Damnés de la Terre « de Franz Fanon décédé avant 1962, mais demeuré l’égérie de la révolution paysanne. Ce film devait être prêt pour le sommet des chefs d’Etat du Tiers Monde prévu pour 1965 mais reporté après que l’Armée de Boumédienne ait renversé Ben Bella.

    Du coup, c’est la Radio télévision algérienne (RTA) qui allait, forte de ses cinq années d’expérience dans le domaine de la production, offrir au public le premier film de fiction 100% algérien. Quand on sait aujourd’hui la difficulté à monter une équipe complète, on se prend à rêver des directeurs photos de niveau mondial (dont N . Adel, R. Merabtine et Y. Sahraoui) dont disposait la RTA à l’époque. Tourné en 1965 par le réalisateur le plus expérimenté de la Télévision Mustapha Badie, « La nuit a peur du Soleil » a été conçu et monté comme une super production au long cours, avec ses quatre heures initiales et sa version actuelle de trois heures.

    Il faut dire que face à la bonne volonté des cinéastes des frontières, la télévision disposait pour tous les postes, de techniciens formés à l’école coloniale. Alors que la plupart des films algériens du secteur cinématographique s’appuyaient sur des techniciens étrangers, Mustapha Badie a bénéficié de l’expérience d’un grand directeur photo en la personne de Noureddine Adel, mais aussi de décorateurs, de monteurs ou d’ingénieur du son algériens chevronnés.

    Tourné en 35 m/m, « La nuit a peur du soleil » est un film dont le titre grandiloquent a pu faire sourire à l’époque, mais qui aujourd’hui gagne à être revisité. Il raconte en effet, dans un style davantage influencé par le (bon) cinéma égyptien que par le mélange hollywoodien-soviétique propre aux premiers films cinématographiques révolutionnaires, la saga de familles prises dans les décennies qui ont précédé l’indépendance de l’Algérie. Pour ce faire, Mustapha Badie a regroupé dans son casting, les plus prestigieux comédiens de l’époque dont Mustapha Kateb, Taha El Amiri, Agoumi , Nouria et Djamila. Le film de Badie impressionne aujourd’hui par sa classe et par son niveau technique.

    Le film a été présenté dans quelques salles, puis à la télévision, amis il a été boudé par le secteur cinématographique naissant. Dans la lutte que depuis lors se sont livrés le cinéma et la RTA, la télévision venait de marquer un point majeur en plantant une banderille majeure dans le dos d’un cinéma condamné à la précarité.

    De 1962 au milieu des années 80, la télévision algérienne n’a cessé d’ouvrir ses portes à la jeune création, tandis que le cinéma se réduisait malgré d’indéniables succès internationaux dus en particulier au savoir-faire reconnu de Lakhdar Hamina, à quelques réalisateurs autoproclamés, plus ou moins talentueux.

    Il serait intéressant à cet égard, de revisiter la production filmique algérienne au prisme de la valeur créative. Au début des années 70, Mustapha Badie récidivait en réalisant ce qui reste aujourd’hui comme le plus gros succès populaire audiovisuel de l’Algérie indépendante, « l’Incendie », un feuilleton de onze épisodes adapté de l’œuvre du grand écrivain Mohamed Dib et dans lequel il révélait une immense comédienne, Chafia Boudraa qu’on a vu récemment encore dans « Hors la Loi » de Rachid Bouchareb. Au cours de la même période de jeunes cinéastes signaient pour la RTA des premières œuvres très remarquées : le magnifique « Noua » de Abdelaziz Tolbi, « Près du peuplier » de Moussa Haddad (assistant de Pontecorvo pour la « Bataille d’Alger », les « dépossédés » de Lamine Merbah. Ces trois films ont pu être vus grâce à Abderrahmane Laghouati, l’un des fondateurs de la RTA, nommé en 1973 à la tête de l’ONCIC. D’autres cinéastes tout autant talentueux n’ont pas eu cette chance. On peut notamment citer Mohamed Ifticène ou Mohamed Hazouli. Quelques années, plus tard, la télévision produisait les deux uniques films réalisés par Madame Assia Djebbar, dont « La Nouba des femmes du mont Chenoua », prix de la critique au festival de Venise en 1981, mais également le magnifique « Nahla » de Farouk Beloufa et renouait avec la grosse production maison avec « Bouamama » de Benamar Bakhti ». Ces deux derniers films avaient été tournés en 35mmpar des équipes de la RTA. On peut encore citer des chefs-d’œuvre comme « Combien je vous aime » de Azzeddine Meddour ou le très beau « Khala oua Beida » de Abderrahmane Bouguemouh mais on risque d’oublier bien d’autres œuvres de qualité, tant la qualité était monnaie courante à l’époque sur la rive télévisuelle.

    Tout cela grâce ou à cause de « La nuit a peur du soleil » de Badie…

    AB

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